Suite à l’article « cancer du sein, ce qu’il faut savoir du dépistage » de la revue « Que Choisir » du mois d’octobre 2012, remettant en cause l’efficacité du dépistage organisé du cancer du sein, vous trouverez, ci-dessous,
– Le lien de l’INCa sur les “limites et incertitudes sur le dépistage” :
– Les arguments du Dr Anne TARDIVON :
Le cancer du sein est fréquent et va toucher une femme sur 10 au cours de sa vie, l’âge étant le principal facteur de risque (plus de la moitié des cancers surviennent après 54 ans).
Du fait de sa fréquence, de l’existence de traitements efficaces et d’un test sensible (la mammographie) ayant prouvé son efficacité en terme de diminution de la mortalité (baisse relative de 25 %), un dépistage organisé national a été mis en place en 2004 pour les femmes entre 50 et 74 ans. En France, le taux moyen de participation n’est que de 52 % (avec une grande disparité entre départements) du fait de la coexistence d’un dépistage individuel.
Que veut dire une balance bénéfices-risques ?
Le bénéfice de la mammographie réside dans la détection de cancers non palpables, de petite taille et sans envahissement ganglionnaire (facteur pronostique de survie) permettant de les traiter efficacement avec des thérapeutiques moins agressives.
Il existe deux inconvénients principaux à dépister systématiquement des femmes asymptomatiques.
1) les faux positifs : On inquiète une femme à tort pour une lésion qui va s’avérer bénigne après biopsie ou une surveillance radiologique.
2) le surdiagnostic :On diagnostique un cancer de bon pronostic qui, en fait, n’aurait pas évolué du vivant de la femme ; donc cette femme devient malade et traitée à tort.
Depuis plusieurs années, cycliquement, le dépistage est remis en cause en mettant en avant que les bénéfices attendus seraient moindres que les risques ; et que le gain observé reposerait surtout sur l’organisation des soins et les progrès thérapeutiques.
Quelle est la vraie balance bénéfices-risques de la mammographie ?
Vouloir répondre à cette question est illusoire car cette balance est différente à chaque âge de la vieet en fonction de l’histoire personnelle et familiale de chaque femme. En effet, ces facteurs vont modifier l’incidence du cancer du sein ainsi que la réduction de la mortalité au cours de la vie.
Le problème des faux positifs se rencontre surtout avant 50 ans car les lésions bénignes sont plus fréquentes, les seins plus difficiles à analyser en mammographie, l’échographie complémentaire ajoutant son lot de faux positifs, alors que l’incidence du cancer est plus faible. Ces risques majorés de faux positifs doivent être clairement expliqués avant 50 ans.
Le problème du surdiagnostic est différent. Participer régulièrement à un dépistage permet effectivement d’augmenter le taux de cancers de bon pronostic (essai des 2 comtés en Suède). Cependant, après vingt ans de suivi, si le taux de cancers de bon pronostic passait de 26 à 41 % dans la population dépistée, le taux de cancers de moins bon pronostic ne diminuait que de 15 %. La différence entre les années 1980 et aujourd’hui est que l’on dispose d’armes thérapeutiques plus efficaces pour traiter ces cancers de moins bon pronostic en les détectant à un stade précoce.
Dans cette problématique de surdiagnostic, il faut individualiser les cancers in situ, le plus souvent révélés par des foyers isolés de calcifications, et dont le pourcentage a régulièrement augmenté au cours du temps du fait du dépistage et des progrès technologiques (mammographie numérique). On sait que certaines formes d’in situ ne deviendront jamais invasives du vivant des femmes (études d’autopsies), or, une fois diagnostiqués, ils sont systématiquement traités.
La mammographie est-elle capable de prédire l’agressivité d’un petit cancer détecté ?
Si le caractère agressif du cancer peut parfois être suspecté en imagerie, cette information basée sur des critères morphologiques devient difficile, voire impossible, pour des cancers de petites tailles. Ainsi, seuls des prélèvements donneront de manière fiable cette information (grade histologique, index de prolifération, marqueurs biologiques).
C’est donc plutôt vers la prise en charge qu’il faut se tourner ! La question est : Faut-il traiter tous les cancers du sein ?
Si la désescalade thérapeutique a déjà commencé (technique du ganglion sentinelle, non-indication de chimiothérapie pour des cancers de très bon pronostic par exemple), l’abstention thérapeutique n’est pas encore à l’ordre du jour du fait de la fréquence connue de cancers additionnels dans le sein atteint et souvent occultes en imagerie.
Cette abstention thérapeutique nécessitera des études impliquant tous les acteurs de la prise en charge et en premier chef les femmes.
Le dépistage organisé a fait ses preuves pour les femmes de 50-74 ans !
Si le dépistage organisé a fait ses preuves pour les femmes de 50-74 ans, son bénéfice dépend également de la participation, qu’il faut donc accroître.
Dans des contextes particuliers à risques, un dépistage personnalisé sera l’avenir en adaptant le rythme et les outils de dépistage en particulier avant l’âge de 50 ans.
Ceci est déjà le cas chez les femmes porteuses d’une mutation délétère de cancer du sein : surveillance dès 30 ans, tous les ans avec ajout de l’IRM. La Haute Autorité de la santé (HAS) va débuter un travail sur l’identification des facteurs de risques de cancers du sein et les modalités de dépistage.
Dr ANNE TARDIVON Radiologue, Institut Curie, Site Paris. Présidente sortante de la Société française de mastologie et d’imagerie du sein
– La réponse de La Ligue contre le cancer en date du 27 septembre 2012.
Tout en ne remettant pas en cause l’utilité du dépistage du cancer du sein, les études auxquelles se réfère Que Choisir mettent en exergue plusieurs évidences régulièrement rappelées par la Ligue :
« Plus on cherche de cancer, plus on en trouve »,
Chiffres-clés :
– En 2011 en France, le cancer du sein était le cancer féminin le plus fréquent avec 53 000 nouveaux cas estimés ;
– 1re cause de décès par cancer chez la femme avec 11 500 décès ;
– Détecté à un stade précoce, ce cancer peut être guéri dans près de 9 cas sur 10 ;
– 52% de la population concernée participe au dépistage organisé ;
– Environ 15% de la population ont recours au dépistage individuel ;
Soit 1/3 des femmes ne suit aucun dépistage
40% des cancers du sein arrivent à un stade tardif
Concernant le surdiagnostic :
Il est établi que certaines lésions détectées par la mammographie et traitées ne seraient pas développées ou n’auraient pas évolué et n’auraient été à l’origine d’aucun symptôme du vivant de la personne. Or, pour 1000 femmes soumises tous les 2 ans à une mammographie entre 50 et 69 ans, 7 à 9 décès sont évités et 4 femmes sont surdiagnostiquées. Le dépistage sauverait ainsi 2 fois plus de vies qu’il n’occasionnerait de surdiagnostic. Par rapport à une population non dépistée la réduction du taux de mortalité est de l’ordre de 15% pour les femmes de 50 à 59 ans et de 30% pour les femmes de 60-69 ans. Les traitements moins lourds peuvent être proposés grâce aux diagnostics précoces. Les bénéfices du dépistage sont supérieurs à ses risques.
Enfin, la Ligue appelle toutes les femmes concernées à participer au dépistage du cancer du sein.
Bref rappel des intérêts du dépistage organisé :
– Programme égalitaire
– Proposé à toutes les femmes de 50 à 74 ans, assurées sociales
– Remboursé à 100% par la sécurité sociale garantissant une équité d’accès
– Renforce l’information individuelle
– 9% des cancers sont dépistés à la seconde lecture
– Le lien vers le site de l’URPS médecins libéraux d’Aquitaine
La polémique sur le dépistage du cancer du sein a été relancée par une publication de l’UNC Que Choisir, juste avant la campagne 2012 d’Octobre Rose : le dépistage organisé a-t-il un intérêt, sauve-t-il vraiment des vies ? Les moyens mis en jeu ne sont-ils pas « démesurés » ?
Le dépistage organisé des cancers du sein sauve des vies. Les 14 méta-analyses des différents essais réalisés démontrent que le dépistage par la mammographie réduit la mortalité par cancer du sein de 20 % dans la population de femmes invitées.
Un groupe d’experts indépendants mandatés par l’Institut du Cancer britannique vient de publier la revue de 12 études européennes et américaines avec un recul d’au moins 20 ans. Il retrouve une réduction de mortalité de 20 % et évalue le sur-diagnostic à long terme à 11 % des cancers diagnostiqués. Il conclue que dans les conditions de qualité d’un programme organisé, les bénéfices sont supérieurs aux risques. En France, on a pu réduire le sur-diagnostic en contrôlant le taux de biopsies et de cancers in situ, en imposant aux radiologues un système unique de classification des images mammographiques, et en conseillant d’en surveiller certaines plutôt que de les prélever.
La méta-analyse danoise publiée en 2000 (considérée comme défavorable au dépistage) montre le même bénéfice que les autres études, après une réanalyse méthodologiquement adaptée de ses données par un panel d’experts.
Ces données doivent être modulées en fonction de l’âge. Plus les femmes sont âgées, plus le dépistage est performant (moins de faux négatifs et de faux positifs), mais moins le bénéfice en années de vie sauvées est important. La réduction de mortalité est de 30 % pour les femmes de 55 à 65 ans, contre 20 % pour l’ensemble de la population de 50 – 75 ans. Chez les femmes de 40-49 ans il existe un bénéfice plus faible, difficile à mettre en évidence.
L’équilibre avantages/inconvénients ne justifie pas, en l’état actuel de nos pratiques, de mettre en place une action de santé publique. Les femmes qui réalisent ce dépistage à titre individuel doivent en être informées. Chez les femmes de plus de 75 ans la proposition d’un dépistage individuel varie en fonction de la comorbidité et de l’espérance de vie, sans que l’on puisse attendre de bénéfice significatif en années de vies sauvées. La pratique régulière de l’examen clinique des seins est à privilégier, complétée par une mammographie le cas échéant.
Ce ne sont pas les mêmes femmes qui encourent les effets délétères du dépistage et qui en recueillent les bénéfices. Les premières sont plus nombreuses, les dernières bénéficient beaucoup puisqu’elles ont la vie sauvée. Ainsi, pour que certaines femmes soient sauvées, il faut que les autres, plus nombreuses, acceptent de ne recueillir du dépistage que des inconvénients, dont la plupart sont mineurs (sensation désagréable au moment de l’examen, angoisse …), d’autres sont délétères (faux négatifs, faux positifs, biopsies inutiles, surdiagnostic).
Cette notion de solidarité, sans certitude que l’on puisse soi-même espérer des retombées positives, doit faire partie de l’information claire et loyale dispensée aux femmes, sans céder à la tentation d’une démarche purement incitative. Le fait de prendre en compte les effets délétères ne veut pas dire que l’on est « contre la mammographie », mais montre qu’un dépistage mal fait, appliqué sans limite d’âge, sans assurance de qualité, sans évaluation, peut être plus nuisible qu’utile. Les femmes sont capables de comprendre cette information et lorsqu’elles adhèrent, le font en toute connaissance de cause.
Dr Marie-Hélène Dilhuydy et Dr Nicolas Brugère