Documentations de références | Adeca 75

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Au milieu des années 1980, dans un climat d’euphorie, les médecins étaient persuadés, grâce aux essais en Suède, que le dépistage systématique du cancer du sein par mammographie tous les deux ans pour les femmes de 50 à 75 ans allaient réduire comme peau de chagrin la mortalité liée à cette tumeur. Plus récemment, au cours des deux dernières années en particulier, cette vision d’un dépistage salvateur a pris un sérieux coup dans l’aile. Plusieurs études dans le monde ont mis en exergue le fait que ces mammographies systématiques détectaient trop souvent des tumeurs qui n’auraient jamais évolué, voire conduisant dans certains cas à des traitements lourds inutiles et dangereux. D’où l’idée défendue par certains spécialistes que le dépistage serait plus dangereux que bénéfique.

Hier, dans le Journal of Medical Screening, la plus grande enquête européenne publiée à ce jour sur ce sujet, remet les pendules à l’heure: oui, il existe un surdiagnostic ; non, le dépistage n’est pas inutile. En évaluant les effets du dépistage sur des femmes en Europe, les auteurs calculent que pour 1 000 femmes soumises tous les deux ans à une mammographie entre 50 et 69 ans, sept à neuf décès sont évités et quatre femmes sont surdiagnostiquées (à tort).

Ce bilan, qui a le mérite de la clarté, devrait éclairer toutes celles qui hésitent désormais à se soumettre à un examen des seins devant les informations contradictoires qui leur parviennent. Chaque année, le cancer du sein frappe 50 000 nouvelles femmes en France et 425 000 nouveaux cas sont recensés en Europe. L’objectif du dépistage est d’identifier tôt la tumeur, et de la traiter alors que sa taille est encore petite, et donc de meilleur pronostic.

Pour évaluer les effets de ce dépistage en Europe, Stephen Duffy (London School of Medicine), a cocoordonné deux groupes de travail. Le premier s’est penché sur les neuf pays européens dont les programmes de dépistage font l’objet d’évaluation régulière, tant sur le plan des décès évités que des complications, en particulier des cancers surdiagnostiqués, c’est-à-dire dépistés et traités, alors qu’ils n’auraient jamais posé de problème en l’absence de dépistage. Le second groupe de travail a analysé 26 programmes de dépistage dans 18 pays, entre 2001 et 2007, portant sur un total de 12 millions de femmes soumises tous les deux ans à un examen mammographique.

Après des calculs sophistiqués, les auteurs concluent que le bénéfice du dépistage est supérieur aux risques, même si ceux-ci ne sont pas négligeables. Une fois n’est pas coutume, dans leur publication, les auteurs ont fait l’effort de résumer leurs résultats de manière très imagée. Imaginez, écrivent-ils, une toute petite ville d’Europe qui compte 1 000 femmes âgées de 50 ans. Au bout de 30 ans, s’il n’y a pas de dépistage organisé, 67 d’entre elles auront un cancer du sein et 30 en décéderont. Prenons maintenant une autre petite cité avec 1 000 femmes du même âge, mais soumises cette fois à une mammographie tous les deux ans.

Au bout de 30 ans, il y aura autant de cancer (67) mais «seulement» entre 21 et 23 femmes mourront d’une telle tumeur (soit entre 7 et 9 décès en moins par rapport à l’autre ville). Mais là, quatre femmes sur mille en plus se verront porter un diagnostic de cancer et seront traitées comme tel, alors qu’elles n’en ont pas besoin. Enfin, 17 % des femmes soumises au dépistage seront convoquées pour des examens complémentaires (imageries, biopsies) qui montreront au final qu’elles n’ont pas de cancer: elles auront été inquiétées à tort.

«En mesurant les effets favorables et négatifs du dépistage, nous espérons avoir aidé les femmes à mieux en connaître les bénéfices et les risques, explique le docteur Eugenio Paci (Institut de prévention du cancer, Florence, Italie). Il y a eu beaucoup de débats sur ces sujets au cours des dernières années, et il était temps qu’un groupe d’experts internationaux fasse un tel travail.» Pour Stephen Duffy, «c’est plutôt une bonne nouvelle que les vies sauvées par le dépistage sont supérieures aux risques du surdiagnostic.»

Lundi 27 Août 2012 LE FIGARO

« Quelle est la vraie balance bénéfices-risques de la mammographie ?

Le cancer du sein est fréquent et va toucher une femme sur 10 au cours de sa vie, l’âge étant le principal facteur de risque (plus de la moitié des cancers surviennent après 54 ans). Du fait de sa fréquence, de l’existence de traitements efficaces et d’un test sensible (la mammographie) ayant prouvé son efficacité en terme de diminution de la mortalité (baisse relative de 25 %), un dépistage organisé national a été mis en place en 2004 pour les femmes entre 50 et 74 ans. En France, le taux moyen de participation n’est que de 52 % (avec une grande disparité entre départements) du fait de la coexistence d’un dépistage individuel.

Que veut dire une balance bénéfices-risques ? Le bénéfice de la mammographie réside dans la détection de cancers non palpables, de petite taille et sans envahissement ganglionnaire (facteur pronostique de survie) permettant de les traiter efficacement avec des thérapeutiques moins agressives. Les deux inconvénients principaux de dépister systématiquement des femmes asymptomatiques sont les faux positifs (on inquiète une femme à tort pour une lésion qui va s’avérer bénigne après biopsie ou une surveillance radiologique) et le surdiagnostic (on diagnostique un cancer de bon pronostic qui, en fait, n’aurait pas évolué du vivant de la femme ; donc cette femme devient malade et traitée à tort). Depuis plusieurs années, cycliquement, le dépistage est remis en cause en mettant en avant que les bénéfices attendus seraient moindres que les risques ; et que le gain observé reposerait surtout sur l’organisation des soins et les progrès thérapeutiques.

Quelle est la vraie balance bénéfices-risques de la mammographie ? Vouloir répondre à cette question est illusoire car cette balance est différente à chaque âge de la vie et en fonction de l’histoire personnelle et familiale de chaque femme. En effet, ces facteurs vont modifier l’incidence du cancer du sein ainsi que la réduction de la mortalité au cours de la vie.

Le problème des faux positifs se rencontre surtout avant 50 ans car les lésions bénignes sont plus fréquentes, les seins plus difficiles à analyser en mammographie, l’échographie complémentaire ajoutant son lot de faux positifs, alors que l’incidence du cancer est plus faible. Ces risques majorés de faux positifs doivent être clairement expliqués avant 50 ans.

Le problème du surdiagnostic est différent. Participer régulièrement à un dépistage permet effectivement d’augmenter le taux de cancers de bon pronostic (essai des 2 comtés en Suède). Cependant, après vingt ans de suivi, si le taux de cancers de bon pronostic passait de 26 à 41 % dans la population dépistée, le taux de cancers de moins bon pronostic ne diminuait que de 15 %. La différence entre les années 1980 et aujourd’hui est que l’on dispose d’armes thérapeutiques plus efficaces pour traiter ces cancers de moins bon pronostic en les détectant à un stade précoce. Dans cette problématique de surdiagnostic, il faut individualiser les cancers in situ, le plus souvent révélés par des foyers isolés de calcifications, et dont le pourcentage a régulièrement augmenté au cours du temps du fait du dépistage et des progrès technologiques (mammographie numérique). On sait que certaines formes d’in situ ne deviendront jamais invasives du vivant des femmes (études d’autopsies), or, une fois diagnostiqués, ils sont systématiquement traités.

 Meilleure participation

La mammographie est-elle capable de prédire l’agressivité d’un petit cancer détecté ? Si le caractère agressif du cancer peut parfois être suspecté en imagerie, cette information basée sur des critères morphologiques devient difficile, voire impossible, pour des cancers de petites tailles. Ainsi, seuls des prélèvements donneront de manière fiable cette information (grade histologique, index de prolifération, marqueurs biologiques).

C’est donc plutôt vers la prise en charge qu’il faut se tourner : faut-il traiter tous les cancers du sein ? Si la désescalade thérapeutique a déjà commencé (technique du ganglion sentinelle, non-indication de chimiothérapie pour des cancers de très bon pronostic par exemple), l’abstention thérapeutique n’est pas encore à l’ordre du jour du fait de la fréquence connue de cancers additionnels dans le sein atteint et souvent occultes en imagerie. Cette abstention thérapeutique nécessitera des études impliquant tous les acteurs de la prise en charge et en premier chef les femmes.

Si le dépistage organisé a fait ses preuves pour les femmes de 50-74 ans, son bénéfice dépend également de la participation, qu’il faut donc accroître. Dans des contextes particuliers à risques, un dépistage personnalisé sera l’avenir en adaptant le rythme et les outils de dépistage en particulier avant l’âge de 50 ans. Ceci est déjà le cas chez les femmes porteuses d’une mutation délétère de cancer du sein : surveillance dès 30 ans, tous les ans avec ajout de l’IRM. La Haute Autorité de la santé (HAS) va débuter un travail sur l’identification des facteurs de risques de cancers du sein et les modalités de dépistage.

ANNE TARDIVON Radiologue, Institut Curie, Site Paris. Présidente sortante de la Société française de mastologie et d’imagerie du sein